Papa,
J’ai grandi dans une atmosphère propice à la méditation et à la culture nourries par la personnalité et le métier de mon père. Je respire encore l’odeur des livres méticuleusement rangés dans la vaste bibliothèque qui meublait parfois tout un étage de la maison familiale, et entends toujours le martèlement de la machine à écrire qui emplissait tout l’espace de la maison et cadençait le rythme d’écriture de l’écrivain installé à son bureau. Premières pierres posées à l’édifice de ma vocation professorale ! Ma véritable université fut sans nulle doute aussi les nombreuses discussions que j’ai partagées avec papa sur les sujets les plus variés, sur les émissions politiques que nous nous plaisions à regarder sur les chaînes françaises, ou sur les heurs et malheurs de la langue de Molière. De ces entretiens se dégageaient chez cet homme de lettres une culture encyclopédique, un savoir livresque, pourtant acquis de façon autodidacte, qui suscitent mon admiration pérenne.
Il m’a également accompagné dans ma passion pour le sport, et que de leçons surprenantes ne m’a-t-il pas prodiguées dans des domaines qui n’étaient pourtant pas les siens ? Nous avons écumé ensemble les pistes de fond de la région sédunoise et je le vois aujourd’hui encore, bien présent dans ma mémoire, arpenter, dans son équipement bordeaux, avec pugnacité les pistes enneigées de Savièse, Montana ou Arbaz.
Et sa technique de freinage, j’en conviens peu académique, lui permettait de dompter les déclivités les plus dangereuses, témoignant par là même de son ingéniosité à trouver une solution à tout problème.
J’ai commencé à jouer au tennis vers l’âge de 20 ans. Papa, à cinquante ans. Sans aucun cours, par détermination, persévérance et intuition, il avait rapidement acquis les bases, voire les secrets d’un sport qui requiert habituellement beaucoup de patience dans l’apprentissage. L’écrivain qui ciselait, dans ses romans, une phrase souple, aérienne, mélodieuse, se révélait, sur un court, peu léger dans ses déplacements, peu esthétique dans ses gestes. Tout un poème !!!
Et par quelle alchimie, quelle magie, lorsque je l’affrontais dans des duels souvent homériques, parvenait-il à me « crucifier » au filet par de divins passing-shots, à anticiper mes coups pour se trouver toujours au bon endroit, à réussir les plus belles volées au filet, à me balayer de ses coups droits et revers d’une rare précision ? Je conserve cette impression que je n’étais pas face à un tennisman amateur mais à un artiste chez qui la raquette se métamorphosait en une plume magique qui courait sur une feuille de papier invisible, sachant donner à la balle verte ou orange des tournures imprévisibles et des arabesques chatoyantes. Oui, grâce aux souvenirs immortels et au legs inestimable de ces qualités humaines, la mort n’existe pas et devient re-naissance.
Et c’est ainsi que chaque jour,
Papa, tu continues à écrire, avec moi, les feuillets de mon existence et de celle de ma famille.